Je regarde le mot que j'ai trouvé sur ma table de chevet sans explication. L'écriture est reconnaissable entre mille. C'est un message manuscrit par mon père. Et aussi celui de Warren. Qui l'a posé ici ? Comment ? Quand ? Et que signifie le contenu du mot ?

"Aide la déesse de l'amour."

Rien de plus. Aucune précision, aucune justification. Je ne sais pas qui c'est, ni pourquoi père veut que je lui apporte mon aide. Je ne suis même pas sûr que ça fait de lui son allié. Cet homme, mon géniteur, j'ai du mal à le comprendre. Mais je le respecte et il a ma confiance. Si le mot le dit, alors je le ferai. Ainsi, je me renseignais pour étoffer le peu que j'avais entendu. Des rumeurs... Que des rumeurs... Des "apparemment" et "je crois". En tout cas, je commence à saisir ce qui se passe. Pourquoi une déesse aurait besoin de mon aide. Sa propre famille semble se servir d'elle. Et de la pire des manières. Si le mot mi conseil mi ordre avait été autre, j'aurais sûrement pris la décision de les attaquer. Aider en revanche... Aider la dénommée Ludmila sous-entend que c'est son point de vue qui compte le plus. Je replace le papier dans ma poche.

Tac. Tac. tac... Le son de mes chaussures s'atténue et se retrouve recouvert.

Je suis arrivé. J'ai déjà un plan. Mon but est de passer en utilisant les rumeurs. Si je suis ici, c'est en tant qu'ami du fils de ma cible. Il lui "envoie" des hommes de temps à temps de ce que j'ai entendu. Pitoyable. Quand je passe devant les gardes, l'envie me prend encore une fois de prendre ma lance, qui est repliée à ma ceinture, sous mon manteau. Ces imbéciles osent porter des armes pour défendre des personnes sans valeurs. D'ailleurs, doublés d'imbéciles, ce sont des incompétents qui me laissent passer à la simple mention du prénom de leur "jeune maître".

Une fois passé, je cherche le bon bâtiment. A l'intérieur, c'est assez facile d'arriver jusqu'à sa chambre. Sans montrer d'hésitation pour éviter d'attirer l'attention, j'entre directement, sans toquer. Ce n'est pas dans mes habitudes... Une fois la porte passée, je la referme directement, avant de reporter mon attention sur la pièce. Il n'y a qu'une seule personne. Je me penche légèrement, offrant une révérence.

- «Enchanté madame Ievseïev. Je suis Adam Blood. »

Un grand sourire qui ne trompe personne. Il suffit de voir ses yeux, bouffis, la peau irritée par les pleurs. Enfin, cela n'est que l'évident qui s'offre à ma vue quand elle se retourne. Alors qu'elle semble figée un moment, j'observe la pièce et la déesse. Il n'y a pas qu'une expression pitoyable. Le lit est désordonné, la femme en face de moi n'est pas coiffée, ni habillée soigneusement, rien de ce que j'ai pu entendre sur l'ancienne grâce de celle-ci. La foi et l'amour ont ce pouvoir hein ? Transformer une créature gracieuse et noble, la déesse de l'amour en... Une hôtesse au mieux.

Elle saisit ma main, gantée. Elle se montre sèche. Ah. Pas la peine... Elle doit me prendre pour quelqu'un qu'on lui a envoyé... La colère monte. Qui lui a fait ça ? Elle n'a beau être qu'une inconnue, la scène me lance quelques idées folles en tête. Un assassinat ? Non. Une boucherie, sans leur montrer le moindre honneur. Avant d'exhiber leur corps sur la place publique. Utiliser les autres... C'est tout ce qu'ils méritent. De ce que j'ai compris il s'agit surtout de sa propre famille. J'expire puis lui offre un sourire serein.

Elle s'assied à nouveau, pour me questionner sur la raison de ma venue. De façon à clarifier un peu la situation, je m'approche de la déesse, avant de m'agenouiller, plus pour être à sa hauteur, parler en tant qu'égal que pour montrer une quelconque servitude.

- «Je n'ai pas payé pour ce genre de choses. Et puis, ne pensez-vous pas que maintenant c'est plutôt à "eux" de payer ? »

Je saisis sa main à mon tour, toujours calme et serein. Mon regard se pose dans le sien, sans détour.

- «Vous semblez avoir rejeté votre statut, avec tout mon respect. Je ne fais qu'offrir mes services à une déesse. »

En réalité, je ne suis pas vraiment croyant. Bien que j'admette avoir plus de considération pour les divinités que la plupart. Mais il sera plus facile de la convaincre ainsi. Me redressant, en m'éloignant, je ne veux pas imposer une quelconque sorte de supériorité, même physique. Je me retourne, faisant mine d'observer un peu la chambre, luxueuse.

- «Avec quels genre de services considérerez vous que vous avez été payée pour votre peine ? Vous sortir d'ici ? Vous rendre cet endroit ? Vous rendre votre honneur ? Peut-être quelque chose de plus concret ? Une vengeance ? »

Je lui dévoile l'arme à ma taille, une lame de lance, ainsi qu'un manche replié, tout en faisant mes propositions. Il est évident que ces idées sont tentantes pour elle. Je pourrais continuer des heures sur ce genre de choses, des tentations. Il n'est pas compliqué de savoir ce qu'une personne dans cette situation viendrait à désirer.

Je l'observe du coin de l'oeil alors qu'elle s'approche pour cacher l'arme à ma taille. Pas une bonne idée...? Elle fait mine de m'embrasser le cou et je la laisse faire. Sûrement que quelques simplets auraient été séduits. Seulement, un frisson parcours mon dos. Une malédiction. Il n'y a qu'une seule personne qui a déjà fait ces gestes à mon égard. Le frisson me donne un air froid, distant, alors que j'écoute les murmures. Surveillée même pendant ces séances... Je la laisse me tirer vers le lit en assimilant l'information. Une personne ou deux de plus ne poseraient pas problème. A moins qu'elle préfère une approche discrète de son problème.

Je sens son poids sur moi, mon regard toujours posé dans le sien. Et rapidement, une explication vient changer la donne. L'amour. Elle voudrait se venger, pourtant, une part d'elle lui chuchote que ce sont des personnes à qui elle tient. Son regard m'incite à jouer le jeu et je parle en portant mes mains à sa taille, délicatement, sans aucune force, ni intention, un mouvement purement théâtrale, destiné à tromper.

- «Le passé appartient au passé... Ludmila. Et cet amour ne fera que vous blesser. »

Des conseils que je devrais appliquer, pourtant je ne l'ai jamais fait.

- «L'enfant que vous avez élevé, le mari que vous avez aimé... Que reste-t-il de l'original quand ils ont lentement pourri de l'intérieur, et menacent de vous faire subir de pires sorts ? »

J'ai enquêté, je suis passé devant les gardes, j'ai vu la propriété, j'ai vu son état, la chambre. Et je la pousse délibérément vers la vengeance. Il faut se débarrasser de ses émotions pour traiter avec des déchets de la société. Son mari et fils ont reçu bien trop d'amour. Il est temps de leur montrer ce que manquer de cette femme pourrait leur faire. Ils ont toujours vécu avec tout, que vont-ils faire avec rien...?

Je fais mine de jouer avec ses cheveux.

- «Le mariage est un accord mutuel... S'il n'a pas respecté ses voeux, pourquoi respecté les vôtres ? »

Je pourrais continuer, mais ce ne sont que des mots, ce sera les pensées qu'elle avait déjà avant mon arrivée qui trancheront dans ses décisions.